Aujourd’hui je suis jeune
Je marche, je parle, je travaille
Je contribue au monde, à notre société
Au fil du temps, je vieillis sans que ça ne paraisse trop
Un jour, je me réveillerai, vieille
Être vieille dans notre société, c’est être oublié
Ne plus avoir d’importance
Être considéré comme moins
Se sentir comme un fardeau alors qu’on aura tant donné
Chaque minute, chaque fois où je prends une respiration je vieillis
Mes poumons se gonflent et des cellules meurent
Tous passent par là, personne ne se doute de ce qui s’en vient. Ce qui s’en vient, on l’a sous les yeux.
C’est la façon dont on traite nos aînés, ceux qui ont le plus à nous apprendre
Ceux qui sont experts de la vie mais que l’on traite comme novice, amateurs
J’ai peur de vieillir, puisque je sais ce qui m’attend
J’ai peur du jour où je me réveillerai dans une chambre
Une chambre de maison pour aînée
Et que ma seule activité de la journée sera de miser sur quel préposé prendra le temps, malgré son emploi du temps serré, son horaire chargé. Puisque oui, je serai une case dans son horaire
Je suis vieille, mais pas un enfant.
Je suis vieille, et justement, chaque ridule représente une expérience, une leçon
Chaque ride est en fait un diplôme donné par la vie, un gage d’expérience et de compétence
Un diplôme sans équivalence, pas accepté, pas considéré
J’aimerais juste être une personne qui peut toucher et être touché
J’aimerais être en relation avec le préposé qui m’habille
Comme si je pouvais penser peut-être être son ami…
J’ai beau rêver. C’est sa job.
C’est ça être préposée. C’est considérer chaque personne comme une richesse dont il faut prendre soin, comme un trésor vivant qu’il faut préserver, et comme un humain qui ne demande qu’à entrer en relation, qui ne demande que de la tendresse et de l’affection. Et si nous donnions autant d’amour à autrui que ce qu’il est prêt à donner et recevoir, peut-être pourrions-nous former une grande famille de cœur, une société unie qui considère chaque personne pour ce qu’elle est.
Cette personne que je mets au lit, je l’aime, j'y suis attaché et elle m’en fait vivre des belles choses. C’est pour ça que j’aime mon travail, parce que chaque moment passé avec l’une de ces personnes merveilleuses m’en apprend tellement sur la vie, sur ce qu’elle est et ce qu’elle n’est pas. Et parce qu’avec chacune d’elle, je vis de précieux moments. Des moments vrais, des moments plus difficiles, des moments me touchant droit au cœur. Pourquoi? Parce qu'elle et moi sommes tous deux des êtres sensibles ne demandant qu’à entrer en relation, ne voulant qu’être aimés.
Ceci dit, pourquoi ne pas commencer ici maintenant, dans l’action la plus simple mais la plus négligée selon moi, la considération de l’autre comme son égal.